Soleil, fascinante déambulation théâtrale

Une promenade théàtrale dans la difficulté de vivre

Le Théâtre de la Tempête est méconnaissable : la salle Serreau est découpée en recoins séparés par de lourds rideaux. Pour éviter la cacophonie, les comédiens parlent bas et le public les écoute au casque. La déambulation s'installe aussi dans les ateliers de stockage du théâtre où cette fois-ci les comédiens rient et parlent fort, installés au milieu du public. Chaque soir, un des deux parcours est proposé, chacun faisant se succéder six séquences inspirées de nouvelles de Raymond Carver. Cette plongée sensible met en scène des personnages fragiles, déstabilisés par les revers de l'existence, les vicissitudes de l'amour et plus généralement la difficulté à trouver son chemin dans la vie.

Dans l'intimité bouleversante des comédiens

Les spectateurs n'ont jamais été aussi près des comédiens qui évoluent tout près d'eux, parmi eux. Leur murmure amplifié par le casque donne à leurs voix une intensité sidérante pour capter au plus près leurs tourments ou leurs espoirs. Dans l'une des nouvelles, un comédien estonien raconte dans sa langue, avec des sur-titres derrière lui, une vie cabossée par l'alcool et l'échec. Rarement une langue inconnue n'a semblé si limpide et percutante. On sort de chaque scène pensif, ému et le passage à la scène suivante est presque trop brutal. Même chose pour les jeux de bingo proposés à l'entracte et en fin de parcours, on n'a vraiment pas la tête à ça...

"Les textes qui ne sont faits que de mots, et pas de chair et de sang, ne m'intéressent pas." Raymond Carver

Des parcelles d'humanité pour un monde en éclats

Pour les 30 ans de sa compagnie Utopia, le metteur en scène Armel Roussel souhaitait aborder une "littérature non dramatique" au théâtre, une forme d'écriture qu'il n'avait jamais explorée auparavant. Sa rencontre avec l'œuvre complète de Raymond Carver en 1993, grâce au film Short Cuts de Robert Altman, a fait de cet auteur une évidence pour cette création. Roussel est fasciné par le mélange chez Carver entre le "presque rien" et "l’immensité", la "base tragique du quotidien" et une certaine ironie, et la capacité de l'œuvre à atteindre le fond de l'âme, l'air de rien, en basculant souvent du réalisme au fantastique. Le titre "Soleil" est d'ailleurs une injonction ironique face à l'écriture "plutôt lunaire" de Carver, une invitation à entrevoir la lumière et l'espoir de lendemains meilleurs même dans un monde à la dérive.

Raymond Carver, la profondeur des situations ordinaires

Raymond Carver (1938-1988) est né dans une famille ouvrière de l'Oregon. Marié très jeune avec deux enfants, il a longtemps jonglé entre petits boulots et écriture, luttant contre l'alcoolisme jusqu'en 1977. Sa carrière littéraire décolle vraiment dans les années 1970. Son style se caractérise par un minimalisme radical : phrases courtes, dialogues dépouillés, silences éloquents. Il excelle dans la nouvelle, explorant la vie des classes populaires américaines avec une précision chirurgicale. Ses personnages - ouvriers, employés, chômeurs - évoluent dans un quotidien souvent étouffant, marqué par l'incommunicabilité et les non-dits. Ses recueils majeurs incluent "Voulez-vous bien vous taire, s'il vous plaît ?" (1976), "Fureur" (1981) et "Cathédrale" (1983). Mort à 50 ans d'un cancer, Carver a profondément influencé la littérature contemporaine par sa capacité à révéler l'extraordinaire dans des situations ordinaires.
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Armel Roussel mise en scène

Avec Paul-Adrien Bertrand, Sam Chemoul, Arnaud Chéron, Romain Cinter, Jade Crespy, Carole Gantner, Lucie Guien, Fatou Hane, Serge Yéroné Koto, Ashley Martin, Vincent Minne, Chloé Monteiro, Eva Papageorgiou, Jarmo Reha, Anthony Ruotte, Lode Thiery, Aymeric Trionfo, Uiko Watanabe, Coline Wauters, Judith Williquet, Jeanne De Mont (voix) et Karim Barras (voix), Koumarane Valavane & Indianostrum (film)

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