La Distance, de Tiago Rodrigues

Effacer sa mémoire pour échapper au destin funeste de la planète

Nous sommes en 2077, dans un futur dystopique où la Terre est à bout de souffle à cause du réchauffement climatique et d'effondrements successifs. Ali, un père médecin resté sur Terre, dialogue avec sa fille, Amina, qui a choisi de s'exiler sur Mars. Pour Amina, Mars est la seule solution : la planète rouge offre une vie meilleure loin d'une Terre "pourrie". Elle y vit au sein d'une "corpo-nation" avec d'autres "oubliants". Ali cherche à comprendre ce départ inattendu. Amina a signé un " protocole d’oubli", un processus irréversible qui effacera son passé de sa mémoire. Cette contrainte temporelle crée une course effrénée : il ne leur reste que quelques jours pour communiquer avant qu'Ali ne disparaisse de sa mémoire. Amina, sereine, voit cela comme un choix assumé vers une "autre beauté".

Amour filial et péril écologique et politique

La Distance se penche sur l'amour filial et la complexité des relations intergénérationnelles. La pièce questionne la capacité à communiquer malgré la "distance" physique et émotionnelle. Elle aborde avec beaucoup d’intelligence la difficulté d'accepter le départ d'un enfant adulte et la reconstruction du père face à ce grand changement. Ali parcourt les étapes du deuil — choc, déni, colère, tristesse, acceptation. Tiago Rodrigues nous confronte aussi aux conséquences de nos choix face au péril écologique et à l'impasse politique sur Terre. Quelle est la réalité d'un "nouveau monde" qui risque de reproduire les maux de l'ancien ? Un thème central est la mémoire, à travers le « protocole d’oubli » d’Amina, qui soulève l'urgence de la transmission des souvenirs avant qu'ils ne s'effacent.

"Nous sommes tous des « ancêtres de l’avenir », et l’avenir nous montrera comme responsables." Tiago Rodrigues

Un plateau tournant inter-planétaire

Tiago Rodrigues a conçu un dispositif scénique  impressionnant de simplicité et de justesse : un plateau circulaire qui tourne sur lui-même en accélérant, créant une "scène derviche tourneuse" qui captive et focalise l'attention du public. Le décor est divisé par des troncs d'arbres décharnés et un rocher martien qui symbolisent la séparation entre les mondes. Sur scène, le père et la fille, bien que proches physiquement, évoluent dans un isolement et une solitude totale. Adama Diop incarne le deuil du père avec une présence magnifique. Alison Dechamps campe une Amina lumineuse, entre le réel et l'irréel, avec une innocence et une spontanéité saisissantes. La clarté et la luminosité du texte, à la fois futuriste et réaliste, font de cette œuvre une réussite.

Tiago Rodrigues

Tiago Rodrigues, né en 1977 à Lisbonne, est un acteur, dramaturge, metteur en scène et producteur portugais. C'est le fils d’un journaliste et d’une médecin opposés à la dictature. Sa rencontre avec les Belges du tg STAN en 1997, lorsqu'il a 20 ans, marque définitivement son attachement à l'absence de hiérarchie au sein d'un groupe en création. Il fonde la compagnie Mundo Perfeito avec Magda Bizarro en 2003 avant de prendre la direction du Teatro Nacional Dona Maria II à Lisbonne de 2015 à 2021.. Il a récemment monté à la Comédie-Française une formidable réinterprétation de la tragédie grecque Hécube intitulée Hécube, pas Hécube. Son style se caractérise par un art de la narration marqué par une économie de moyens et un profond attachement aux êtres qu'il met en scène. Combinant histoires réelles et fictions, tressant intime et politique, les spectacles de Tiago Rodrigues sont profondément marqués par la notion d’écrire avec et pour les acteurs et par la recherche d’une transformation de notre conscience grâce aux outils du théâtre. Il est l’actuel directeur du Festival d’Avignon, qu’il connaît bien pour y avoir présenté Antoine et Cléopâtre en 2015, Sopro en 2017, La Cerisaie en 2021, By heart et Dans la mesure de l’impossible en 2023.
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Tiago Rodrigues texte et mise en scène
Avec Alison Dechamps, Adama Diop

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