Krystian Lupa monte Les Emigrants à l'Odéon

• Des existences brisées par un exil traumatisant sur fond de blessures intimes
• Une reconstruction hypnotique, entre fiction et documentaire, de parcours de vie marqués par l'exil
• Des moments fulgurants, hélas noyés dans une lenteur artificielle et assommante
• Krystian Lupa, un artiste complet qui travaille méticuleusement les personnages avec les comédiens

Les histoires

Le roman de Winfried Georg Sebald, publié en 1992, réunit récits et photographies de quatre personnages qu'a connus l'auteur. Krystian Lupa en adapte deux. C'est d'abord l'histoire troublante de Paul Bereyter, l'instituteur de Sebald, radié en 1934 par les nazis parce-que son grand-père était juif. Ses parents meurent dans un camp de concentration. Et pourtant, pendant le Seconde Guerre Mondiale, il revient de son exil en France et se fait mobiliser. Deuxième histoire dramatique, celle d'Ambros Adelwarth, le grand-oncle de l'écrivain, émigré avant la Première Guerre mondiale déjà aux Etats-Unis où il accueillera plusieurs neveux et nièces dans les années 20. Seul protagoniste des Emigrants à ne pas être juif, Ambros accompagne, en qualité de valet de chambre et peut-être d'amant, les errances et les voyages de Cosmo Solomon, fils d'un banquier new-yorkais qui sombre dans la folie.

Le déchirement de l'exil et les horreurs du nazisme

Krystian Lupa explore dans cette pièce "le pouvoir destructeur de l'être humain" celui qui contraint des êtres à la fuite, au bannissement – à la perte radicale de leur “patrie spirituelle”. Inspiré par les photographies spectrales qui scandent le récit de Sebald, par ces particules de vie immortalisées telles des reliques, il fait surgir sur scène, à travers ses interprètes, des déchirures indicibles. Point commun à celles-ci : les horreurs du nazisme et de la Shoah, les compromissions et la culpabilité qui en résulte, la négation des crimes.

Le pouvoir destructeur de l'être humain

Traduire au théâtre les silences de Sebald

La mise en scène est un aller-retour permanent entre passé et présent, souvenirs et réflexions, pensées et narration. Krystian Lupa construit ses personnages par touches éparses assemblées dans un déroulement non-linéaire. La vidéo est largement utilisée pour révéler souvenirs et émotions intimes. Il en résulte des moments de grâce, prodonds et percutants, mais affaiblis par la lenteur parfois assommante du récit. Les dialogues répétitifs, qui révèlent les personnages par accumulation de touches anodines, se perdent parfois dans une fadeur que le son mal calé n'arrange pas...

Krystian Lupa

Le metteur en scène polonais, né en 1943, est célèbre pour la construction minutieuse des personnages lors de longues sessions avec les comédiens dont le travail est la matière première de ses pièces. Créateur de théâtre complet, il s’impose à la fois comme concepteur d’adaptations, plasticien (il signe lui-même les scénographies et les lumières de ses spectacles) et directeur d’acteurs. Il joue tant sur le figuratif que le mental pour sonder l'être humain, conscient et inconscient.